Eric Nesterenko, le premier vainqueur de la Coupe Stanley à Lausanne

Avant Cristobal Huet, le Lausanne Hockey Club a accueilli un autre vainqueur de la Coupe Stanley : Eric Nesterenko, l’homme aux 1200 matchs de NHL. C’était en 1972.

Début des années septante. L’équipe de Montchoisi cherche par tous les moyens de revenir dans l’élite du hockey suisse qu’elle a quitté onze ans auparavant. Après deux exercices ratés, le club lausannois affiche ses ambitions. Il recrute d’abord l’Américain Bob Lindberg, qui vient de briller lors des Championnats du monde 1971, puis les deux internationaux de La Chaux-de-Fonds Marcel Sgualdo et Francis Reinhard. Mais ce n’est qu’un amuse-bouche. Le clou de cette campagne de transfert hors norme porte un nom ukrainien, une gueule de baroudeur et un palmarès inédit en nos contrées : Eric Nesterenko.

Un « coup » invraisemblable à l’époque : l’homme, qui a débuté le hockey professionnel à 18 ans au Toronto Maple Leafs, vient de passer seize saisons avec les Chicago Blackhawks, avec lesquels il a remporté la Coupe Stanley. Un vieux souvenir, tout de même : c’était en 1961. Onze ans plus tard, après avoir disputé plus de 1200 matchs en NHL et enquillé 250 buts, le fils de réfugiés politiques ayant fui les bolchéviques a 38 ans (il est né le 31 octobre 1933) et cherche un nouvel élan à sa carrière. Va pour le rôle d’entraîneur, va pour l’Europe, même en deuxième division suisse.

Nesterenko est d’abord connu pour son solide jeu d’ailier à vocation défensive, et pour être un habile « tueur de pénalités » aligné régulièrement sur les unités de boxplay. A deux reprises, en 1961 et en 1965, il a été sélectionné pour le « match des étoiles » de la NHL. C’est donc une vraie star du hockey nord-américain qui débarque à Lausanne… mais à l’époque, pas de réseaux sociaux, ni de buzz. La nouvelle est tout de même développée dans la presse locale, qui annonce en « Une », en juin 1972, l’arrivée à Lausanne du « 12e joueur de tous les temps ». On imagine ce qu’aurait donné pareille nouvelle aujourd’hui !

Le 26 juin 1972, 24heures écrit qu’Eric Nesterenko est un adepte du jeu collectif, « tous les joueurs devant participer aux actions et non se cantonner dans une certaine zone de la patinoire. Ce qui suppose une préparation physique très poussée… telle qu’il la pratique personnellement. » Le journal note par ailleurs que le nouvel arrivant n’a purgé que 1256 minutes de pénalité dans sa carrière professionnelle, soit « une minute par match, preuve d’une parfaite correction (sic). Le jeu trop physique ne devrait donc pas être l’apanage des joueurs lausannois, s’ils suivent l’exemple de leur entraîneur ».

Car tout est là : aussi prestigieux soit-il, Eric Nesterenko est un débutant au poste de coach. Sera-t-il à la hauteur ? Au début, tout sourit au « Super-LHC », comme on l’a déjà surnommé. Il enfile les buts comme les perles (avec un certain Gérard Dubi comme meilleur arme offensive) : 29 buts marqués, 3 encaissés lors des trois premiers matchs ! Les 14 matchs du tour préliminaire confirment : Lausanne finit avec douze victoires, un match nul (pas de « mort subite » à l’époque) et une défaite, 97 buts inscrits contre 30 encaissés… Et Nesterenko rechausse les patins pour pallier l’absence de Lindberg, blessé.

Mais le tour de promotion va se transformer en douloureux apprentissage pour le grand Nesterenko. Son équipe perd son hockey et ses matchs, et malgré quelques beaux sursauts, se fait laminer par Zurich 8 à 2, condamnant tout espoir de retour en LNA. « Il y a des choses que je ne savais pas. Rien ne remplacera jamais l’expérience et, en tant qu’entraîneur, je suis encore un novice. (…) J’ai en fait éprouvé de la difficulté à faire comprendre à mes joueurs que, lorsqu’on est en bonne position pour se défendre, on est aussi en bonne position pour attaquer. » L’expérience Nesterenko aurait peut-être mérité une prolongation. Mais les comptes sont rouges et le grand Canadien coûte trop cher – « un chèque à six chiffres ». Le premier vainqueur de la Coupe Stanley à avoir porté le maillot du LHC rentre donc chez lui, pour une dernière saison pro (29 matchs) à Chicago, en World Hockey Association.Une douzaine d’années plus tard, Eric Nesterenko joue Blane Youngblood, le père du personnage principal du film « Youngblood », dont il est aussi le consultant pour le hockey.

Sources :
Scriptorium, les archives en ligne de la BCU.

« Le Roman du LHC » de Michel Busset et Roger Jaunin, paru en 1978
NHL.com